La qualité de vie et d’occupation des villes est un enjeu auquel les autorités et les urbanistes sont fortement attachés.

Les parties concernées font valoir leurs arguments, parfois contradictoires, plus rarement concordants. Les objectifs climatiques sont devenus partie intégrante de la discussion.

Le cœur de villes sera-t-il piétonnier ? L’exil des voitures est-il synonyme de baisse de fréquentation ? N’est-ce pas une légende urbaine ? Qu’est-ce qu’un centre-ville accueillant ? Qui doit-il accueillir ? Qu’est-ce qu’une ville durable ? Des compromis sont-ils envisageables ? … Autant de questions, autant de réponses possibles.

Très tôt, la canado-américaine Jane Jacobs (1916-2006), photographe militante avant l’heure contre la ville moderne, a alerté sur les nuisances d’un usage excessif et intrusif des véhicules automobiles. Adepte inconditionnelle du vélo et passionnée d’urbanisme, elle tire ses théories de l’observation.

La voiture en ville, source de toutes les démesures, en efface la dimension humaine. Des infrastructures hors proportion se créent, un zonage apparaît. Ceux qui ont le choix, en préférant partir, participent à l’étalement des banlieues et à l’artificialisation des sols. Des quartiers dépérissent. La ville se déshumanise, la voiture en est une des causes. Jane Jacobs a été entendue, trop peu, dans certaines villes d’Amérique du Nord dont elle a influencé l’organisation (New-York, Toronto). Son livre « Déclin et survie des grandes villes américaines » (1961) n’est traduit en français qu’en 1991. Réédité en France en 2012, il trouve une place de choix dans la bibliothèque des urbanistes contemporains.

L’actuelle prise de conscience autour de la voiture provoque un retour à la case départ. La volonté de la repousser hors de la ville est devenue la tendance afin de valoriser les piétons et la mobilité douce dont le vélo. La ville doit se densifier dans une mixité sociale, fonctionnelle et récréative. Ses rues doivent être vivantes et agréables. Elle doit offrir à ses habitants la sécurité, la convivialité, le bien-être, ... La ville idéale est pleine de vitalité, propre, végétalisée, … et devient même intelligente (Smart City).

L’exil

Expulser la voiture (et accessoirement les deux-roues motorisés) de la ville n’est pas une sinécure. Elle s’y accroche comme une tique sur le cou d'un chien.

Voici quelques mesures parmi le panel disponible qu’elles soient simplement incitatives ou contraignantes.

  • Réduire les bandes de circulation tant en nombre qu’en largeur. L’espace récupéré pourra être consacré à l’aménagement de larges trottoirs, de voies en site propre pour les transports en commun, de pistes cyclables. Les cyclistes n’auront plus à redouter l’ouverture inopinée d’une portière.
  • Créer des zones basses émissions qui excluent les véhicules les plus polluants
  • Etendre les zones à vitesse limitée (30 km/heure). Les automobilistes préfèrent mener leurs chevaux au galop qu’au pas. Le risque et la gravité des accidents diminuent. Le bruit et la pollution décroissent (la voiture électrique n’est pas encore une généralité).
  • Limiter le nombre d’emplacements de parking. A Bruxelles, par exemple, dans le cadre du CoBrACE, Code Bruxellois Air, Climat et Énergie, le législateur peut imposer la réduction des places de parking tant aux entreprises qu’au administrations ou aux copropriétés tertiaires. Il suffit de devoir renouveler un permis d’environnement pour y être confronté.
  • Pour les emplacements résiduels, mettre en place un plan de stationnement et le tarifier avec un coût dissuasif et des durées limitées.
  • Promouvoir le co-voiturage et les véhicules partagés.
  • Optimiser l’offre de transports en commun, mettre en place des lignes de bus rapides à haut niveau de service, le tout associé à des parkings de délestage en périphérie.
  • Recourir au vélo-cargo pour les livraisons de proximité

Le prix des voitures et les dépenses associées peuvent devenir dissuasifs et amener certains à se poser des questions telles que : « En ai-je les moyens ? En ai-je vraiment besoin ? ».

L'engagement pour une vie plus durable, plus respectueuse de la planète peut aussi être un facteur d'influence qui amène à se passer d'un véhicule ou à tout le moins d'en limiter l'usage.

Lever la pression de la circulation automobile et du stationnement ouvre la porte à l’amélioration des espaces publics, plus productifs socialement, écologiquement et économiquement. Que pensez-vous de faire du lèche-vitrines dans ce nouvel environnement ?

Le compromis

Il n'est pas toujours nécessaire de jouer les gros bras. A Tusla (USA), par exemple, les autorités ont choisi la voie du compromis.

La partie basse de la ville a été montrée du doigt pour en être un excellent mauvais exemple. 30% de sa surface est consacrée au stationnement et, jusqu’à 50% à la voiture selon les sources, si l’on y ajoute les rues. En 2013, un bloggeur national lui a attribué le prix du « Cratère d'Or », une reconnaissance amère pour la pullulation de parkings de surface y compris en squat sur les sites d’anciens bâtiments.

L’intérêt d’un tel usage est vraiment très faible comparé à une occupation résidentielle, commerciale ou encore végétalisée. Les autorités sont convaincues que desservir les immeubles reste une obligation pour garantir (voir augmenter) la fréquentation du centre-ville et ce, d’autant plus que :

  • les américains sont attachés à leur véhicule;
  • les études ont démontré de façon récurrente une offre insuffisante en stationnement.

La création d’une application Park Mobile a optimisé la gestion des emplacements existants en signalant la position des emplacements libres. Mais, elle n’en a pas augmenté le nombre.

La ville a décidé d’en repenser l’organisation. Prêts à taux avantageux et exonérations fiscales, la perche a été tendue aux promoteurs immobiliers:

  • des espaces de parking privés mais également publics sont intégrés aux nouveaux immeubles;
  • des bâtiments spécifiques, couverts et multiétages seront consacrés aux véhicules.

Le nombre de véhicules accueillis peut augmenter tout en libérant de la surface au sol qui, elle-même, sera consacrée à de nouveaux aménagements. Une spirale vertueuse s’enclenche.

En parallèle, un système de desserte rapide par bus (BRT pour Aero Bus Rapid Transit) a été mis en place en 2019 pour ceux qui travaillent (une personne sur 5) ou vivent (une sur 7) tout près de l’avenue principale. Une offre de vélos en libre-service et de scooters a été développée simultanément à des actions de sensibilisation.

Cette stratégie réfléchie et adaptée aux besoins a eu un impact positif sur la qualité de l’environnement urbain et significatif sur les revenus de la ville. Lorsque la voiture conserve son hégémonie, une telle solution est somme toute très classique.

Quelles stratégies vont finalement déterminer la nouvelle normalité ?

Les bonus

Pourquoi ne pas tirer avantage des derniers parkings de surface qu’ils soient publics ou privés pour :

  • améliorer la gestion des eaux pluviales ?
  • participer à l’absorption des polluants ?
  • augmenter la végétalisation urbaine ?
  • créer des zones de rafraîchissement ?
  • produire de l’énergie renouvelable ?

La première stratégie est simple, il suffit de travailler sur leur revêtement.

En 2022, le CEREMA (France) a publié les conclusions d’une thèse (Lucie Varnède – 2020) menée dans le cadre du projet Roulépur pour étudier « les capacités, de rétention en eau et de filtration des micropolluants, par différents types de parkings perméables ». Trois cas ont été étudiés sur site : couche superficielle en gravier, en mousse, en gazon. Si tous trois participent à la gestion des eaux de surface, la meilleure performance est obtenue par les solutions végétalisées (rétention de l’eau et des polluants).

La seconde l’est tout autant.

Ombrager les espaces de parking avec des panneaux solaires a une incidence sur la résorption des îlots de chaleur et sur la politique climatique (production d’énergie propre). Les voitures électriques pourraient profiter de leur période de stationnement pour recharger leurs batteries avec l’électricité produite.

 

A suivre → Mobilité – Quand arrive le temps de la reconversion

 

Lire aussi :

 

 

Sources :
- « Interdire les voitures en centre-ville a-t-il vraiment un impact négatif sur les commerces ? », Mathieu Chassignet, Ingénieur transports et mobilité, (Ademe - Agence de la transition écologique), 18/05/2024, www.rtbf.be
- « Apprendre de Jane Jacobs, chantre de la ville dense et intense », LDV Studio Urbain, 14/12/2016, www.demainlaville.com
- « Jane Jacobs, Cyclist », Peter L. Laurence, 17/05/2024, www.archdaily.com
- « Que faire si vous devez réduire vos places de parking ? », 17/05/2021, environnement.brussels
- « Parking garages on the rise in downtown Tulsa », posté par Resolute PR, 2019, pricefamilyproperties.com
- « Les parkings perméables, un outil pour réduire les pollutions ? »,01/02/2022, www.cerema.fr
- « How Can Cities Cool down Large Urban Car Parks ? », Paul Yakubu, 23/02/2024, www.archdaily.com
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