L’un des plateaux de la balance est consacré à la voiture, l’autre à l’homme, celui qui marche, le piéton.

Que se passe-t-il quand l’hégémonie de la voiture est refusée et que la balance penche pour le piéton ?

Refuser

Refuser les inconvénients de la voiture, c’est ouvrir la porte au piéton. Le piéton convaincu a des amis incontournables. Mobilité douce et longueur des déplacements obligent, ses affinités le porteront vers le vélo ou la trottinette, des modes de transports collectifs tels les transports en commun.

Les trams, métros et bus couvrent des déplacements plus courts.

A Lille (France), les jeunes de moins de 18 ans peuvent voyager gratuitement sur le réseau de transports en commun depuis le 1er janvier 2022. Ceux qui ont recours au service Handipole doivent avoir entre 14 et 17 ans inclus pour en bénéficier.

Dés 2013 à Tallinn, capitale de l’Estonie, les transports en commun sont gratuits pour tous pour aider la population en difficulté après la crise économique de 2008-09.

Dans un objectif plus environnemental que social, Dunkerque s’en inspire pour devenir « une terre d'expérimentation de la ville industrielle de demain ». Alors que la circulation et le parking n’avaient pas atteint un seuil de saturation, elle adopte le principe en 2018 sans restriction d’âge. L’expérience a fait l’objet de toutes les attentions et a, elle-même, été un modèle pour d’autres métropoles. Le succès a été au rendez-vous avec une hausse de fréquentation de plus de 130 % en cinq ans.

L’attractivité de l’action a été renforcée par une modernisation :

  • du réseau, avec voies réservées, le passage au vert automatique de certains feux de signalisation, une desserte plus efficience, une réduction des temps d’attente, …
  • des équipements, nouveaux bus avec des écrans intérieurs en parallèle à un relooking aux couleurs toniques. Les voici en rose, vert, jaune. Certains sont thématisés (événements, sports, jeux vidéo, …). Même les tenues des conducteurs ont été modernisées.

Le tout a été soutenu par des campagnes publicitaires pleines d'humour. Des abris supplémentaires viendront prochainement augmenter le confort des usagers aux arrêts et ... leur donner une chance de découvrir un tableau d'un peintre célèbre !

Quels bémols pour ce projet collectif et environnemental ?

  • le coût tant pour la modernisation que le fonctionnement. Le financement doit être compensé par un impôt citoyen solidaire ou une participation / taxation des entreprises locales.
  • l’absence d’étude approfondie qui en chiffre objectivement tous les bénéfices
  • le bilan écologique variable compte tenu de l’état et du type de matériel, du taux de remplissage
  • l’effet rebond, à savoir l’augmentation des déplacements
  • le profil des usagers. Sont-ils des conducteurs reconvertis ou des passagers ?

Dans la majorité des cas, les trains desserviront les trajets plus longs.

Ils offrent un mode de déplacement flexible, rapide et sûr. Ils sont considérés comme respectueux de l’environnement, eco-friendly (plus que la voiture) diront ceux qui préfèrent les anglicismes. Le temps des utilisateurs est totalement libéré, pas d’attention à accorder à la conduite. Ils peuvent dormir, lire, discuter, scroller ou encore travailler.

Des promotions sont régulièrement proposées, notamment pendant les périodes de congés, pour faire du train un partenaire touristique attrayant.

A toute médaille, son revers.

La médaille : disposer d'un réseau de transports en commun est une formidable opportunité que nous considérons trop facilement pour acquise.

Le revers : les imperfections du système.

L’offre de services est limitée, ni 24/24, ni 7/7. La restructuration des réseaux supprime, ou à tout le moins, allège la desserte des régions plus éloignées ou moins peuplées.

La suppression et le retard sont monnaie courante. Dernièrement, un formateur externe venu en train de Bruxelles est arrivé dans notre Centre 20 minutes après le début de la prestation. La secrétaire chargée de son accueil est (encore) arrivée 30 minutes plus tard. Les correspondances se ratent, les temps de trajet s’allongent. Et que dire lorsqu’un (ou les bus) ne passe(nt) pas en période d’examen. Quel stress pour les étudiants, pour les parents !

Il faut partir plus tôt, solliciter la compréhension d’un employeur, s’armer de patience ou bénéficier d’horaires flexibles pour regagner en sérénité.

D’un côté : les campagnes de sensibilisation

Les actions de sensibilisation à la mobilité douce commencent tôt, dès l’école. Le Service public de Wallonie, entre autres, met à disposition du personnel enseignant des brochures, du contenu pédagogique avec des scripts d’animations, des canevas d’ateliers, des jeux.

Est-ce une conséquence ? Les plus jeunes sont moins intéressés par la voiture. Peu à peu, ils lui préfèrent la mobilité douce. Après l’étêtage du pic dû au confinement, force est de constater que les statistiques l’entérinent. Chez les 18-25 ans, le taux d’obtention a chuté de 6,6% entre 2022 et 2021. Avoir un permis de conduire n’est plus considéré comme une nécessité. La voiture de société perd de son attractivité dans le package des avantages salariaux.

A travers le temps les avis restent partagés, comme le montre ce reportage de l’INA.

Mais, il est indéniable que les habitants de la ville se passent plus facilement d’une voiture, srutout avec la congestion actuelle, car ils trouvent sur un espace restreint une réponse facilement accessible à tous leurs besoins. S’en éloigner est synonyme d’augmenter les déplacements pour faire les courses, travailler, aller à l’école, avoir des activités de loisirs, ... 

dessin 2 CV rouge illustration pretexteD'autres restent culturellement et incurablement imprégnés de l'adage « Ma voiture, (c’est) ma liberté » dont l’origine se perd dans les années 60, 70, 80. A cette époque, la voiture avait (et garde) un rôle social fort :

  • devenue populaire, elle offre l’autonomie à une majorité de la population;
  • à travers ses performances et son look, elle traduit (trahit ?) l’engagement sociétal de son propriétaire, du Bobo au Bling-bling;
  • le nombre de ses chevaux et sa marque sont un symbole de réussite. 

Aujourd’hui, la liberté voit ses ailes coupées quand elle s’encastre dans les bouchons. Dans les villes, les parkings se raréfient. Il faut payer (cher) ou errer (longtemps) pour avoir le privilège de se parquer. Les pneus des SUV sont dégonflés (voire lacérés) par des activistes climatiques au grand dam des propriétaires impuissants.

De l’autre : l’évolution des aménagements

Les aménagements dédiés se multiplient. Les pistes cyclables font désormais partie intégrante du paysage. Les filières éco-modales commencent à s'organiser. Des vélos-cargos circulent. Des voies piétonnes apparaissent.

Lorsqu’un quartier ou un coeur de ville est constitué historiquement d’un entrelacs de rues étroites, il va (presque) de soi de le rendre piétonnier. Lorsque les avenues sont larges, la perception du changement d’usage est toute autre. Bien que des espaces ouverts agrémentés de terrasses et végétalisés incitent à la flânerie, rendre piéton un espace accessible aux voitures suscite une vive opposition et des actions en justice. Les commerçants sont les premiers à monter au créneau par crainte de perdre leur clientèle.

Par conséquent, une attention particulière doit être apportée à la mise en oeuvre de cette évolution urbanistique avec une transition douce et bien organisée. La période des travaux est critique car les commerces sont difficilement accessibles tant aux conducteurs qu’aux piétons. Il est important que la durée du chantier soit la plus courte possible, quitte à travailler par phases pour conserver une accessibilité maximum. Les clients reviendront-ils ? Les études d’expériences à Lille, Rouan et Nancy, même si elles sont peu nombreuses, montrent que

  • ces commerces sont majoritairement fréquentés par des personnes de proximité;
  • ces citoyens, qui y viennent à pied ou en transport en commun, apprécient l’ambiance des espaces enfin tranquillisés. Moins de bruit, moins de pollution, plus de convivialité.

Un coeur de ville piétonnier accueille les familles et les baladins, les touristes (sans excès) et les badauds. Les enfants jouent. Les mêmes études à l’étranger montrent au contraire qu’à terme la fréquentation et le chiffre d’affaires des commerces augmentent.

photo pietonnier Namur Belgium by Jorge Franganillo

Le vieux Namur (photo ci-dessus - crédit Jorge Franganillo - 2022), l’hypercentre de Liège (le plus grand de la région wallonne), Lyon, Madrid, Amsterdam, Vienne, ... ne fait-il pas bon de s’y promener ?

 A suivre → Mobilité – Dompter le centre-ville, un défi surmontable ?

 

Lire aussi :

 

 

Sources :
- www.ilevia.fr
- « Transports gratuits : l'expérience réussie de Dunkerque », Isabelle Lesniak, 12/12/2023, www.lesechos.fr
- « Transports publics gratuits, une mesure inefficace contre la pollution en ville », Frédéric Héran, Économiste et urbaniste (Université de Lille), 21/06/2020, theconversation.com
 - « Le permis de conduire moins populaire chez les jeunes », Belga, 17/04/2023, www.lesoir.be
- « A Gand, un collectif continue de dégonfler les pneus de SUV malgré la menace d'une sanction administrative », Belga, 21/06/2024, www.lalibre.be
- « Ecoles nature et éco-citoyennes - Mon école agit pour la Terre - La mobilité », DGO 3, SPW, environnement.wallonie.be
- « Interdire les voitures en centre-ville a-t-il vraiment un impact négatif sur les commerces ? », Mathieu Chassignet, Ingénieur transports et mobilité, (Ademe - Agence de la transition écologique), 18/05/2024, www.rtbf.be
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- « Namur (Belgium) », Jorge Franganillo, 19/06/2022, Creative Commons Attribution 2.0 Generic license, commons.wikimedia.org

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