Plus de 10 ans se sont écoulés depuis la destruction des Bouddhas millénaires de Bâmiyân (Afghanistan). En avril dernier a commencé le démantèlement d’un immeuble iconique, la tour Nakagin Capsule (Tokyo – Japon).
A défaut de pouvoir en assurer la protection, une sauvegarde immatérielle du patrimoine serait-elle une solution inespérée ?
Au fil du temps, une partie patrimoine culturel disparaît délibérément ou non : cataclysme, guerre, spéculation, désintérêt, mode, vétusté, … ne sont que quelques-unes des causes de ce phénomène.
The constructivist Railway Workers Palace of Culture in Kharkiv is the latest culturally significant building in Ukraine to have been severely damaged by the Russian invasion. https://t.co/jNaD6vWoz5
— Dezeen (@dezeen) August 22, 2022
Le numérique, avec ses nouvelles réalités, est-il une planche de salut pour le patrimoine ? Le métavers n’en est qu’à ses balbutiements. Qu’en sera-t-il dans 5 ans ? L’évolution est rapide et les limites des technologies immersives n’attendent que d’être repoussées.
Reproductions graphiques puis photographiques, imagerie 3D, la conservation mémorielle se transforme.
Disparition d’une icône
Revenons à la Nakagin Capsule Tower conçue par l’architecte japonais Kisho Kurokawa (1934 - 2007).
Elle est considérée comme emblématique du mouvement métaboliste au Japon et, surtout, comme un bâtiment tout à fait anticonformiste. Il est vrai qu’aujourd’hui encore cet immeuble si original, véritable monument sans avoir pu être inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, se détache toujours dans son environnement.
Sa construction se déroule de 1970 à 1972. Les 140 capsules interconnectées s’accrochent en deux tours sur une structure en acier et béton armé tout au long de 13 étages. La préfabrication était de mise tant pour les escaliers, les planchers et les gaines d’ascenseurs que pour les capsules elles-mêmes. Construites en acier galvanisé renforcé par des nervures, elles constituent des entités autonomes compactes, à usage de bureaux et de logements, utilisées individuellement ou en combinaison d’unités.
Dans la vision dynamique de la philosophie du mouvement architectural, le concepteur avait voulu son bâtiment pérenne. Il prévoyait le remplacement des capsules tous les 25 ans. L’intention n’a pas été suivie d’effet. Faute d’entretien, le bâtiment s’est progressivement dégradé. Il a vieilli, mal. Les normes antisismiques ont évolué, le voici devenu non-conforme. Aucune solution n’a été trouvée pour sa rénovation. Il est implanté dans un quartier prisé. Clap de fin.
Sa déconstruction plutôt que sa démolition (qui a commencé le 12 avril et s’étendra jusque fin de l’année) permettra la sauvegarde de quelques capsules dans des musées ou chez d’heureux acquéreurs privés.
Une sauvegarde numérique ?
Gluon, une agence tokyote spécialisée en conseils et services numériques, voit les choses autrement et s'est investie dans un projet « 3D Digital Archive ». Un appel de fonds été lancé pour recréer dans un métavers ce bâtiment à grande valeur architecturale. Grâce à ses riches archives numériques obtenues par plusieurs techniques de relevé (scan laser, plus de 20 000 photographies classiques ou par drones, …), elle dispose d’une base documentaire suffisante pour convertir l’immeuble dans un monde parallèle. La maquette virtuelle sera accessible au public qui pourra même visiter l’intérieur d’une capsule.
D’autres débouchés peuvent être envisagés pour ces données : impression de modèles 3D, matériel didactique pour améliorer la perception spatiale, …
Si les fonds récoltés sont suffisants, Gluon se propose de mettre les données à disposition en open source sur son site web pour que tous puissent en profiter, qu’ils soient particuliers, scientifiques, concepteurs, … afin de participer à des recherches ou développer des activités innovantes.
Ce n’est pas la première fois que les archives numériques sont utilisées pour « restaurer » un bâtiment à l’exemple du Miyakonojo Civic Hall, immeuble tout aussi célèbre de l’architecte japonais Kiyonori Kikutake appartenant aussi au métabolisme et, plus près de nous, Notre-Dame de Paris.
Le démantèlement de la Nakagin Capsule Tower et sa renaissance dans un métavers interroge sur le sens d’un recours à des univers immatériels pour sauvegarder la mémoire (patrimoniale et culturelle) de l’humanité.
Un immeuble immatériel existe-t-il encore ?
... A suivre : Le métavers, future mémoire de l’humanité ? La création virtuelle (2/2)
Sources :
- « Nakagin Capsule Tower », fr.wikipedia.org
- « Demolition of iconic Nakagin Capsule Tower begins in Tokyo », Lizzie Crook, 12/04/2022, www.dezeen.com
- « Gluon Preserves the Now-Dismantled Nakagin Capsule Tower Building in the Metaverse », Maria-Cristina Florian, 09/08/2022, www.archdaily.com
- « Metaverse real estate community The Row launches with six architectural designs by artists », Christina Yao, 27/07/2022, www.dezeen.com
- « Can Public Space be Created in the Metaverse? », Maria-Cristina Florian, 24/08/2022, www.archdaily.com
Source de la photo d’introduction : « Nakagin Capsule Tower », Kakidai, 03/01/2020, Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license, commons.wikimedia.org. Son utilisation n'engage en rien l'auteur sur un soutien ou un entérinement éventuel du contenu de l'article.